LIBRARIOLI E – APPEL À CONTRIBUTIONS

Date 01.03.21
Auteurlou-maria le brusq
Durée 8:51
Comm.🗨10
objet

appel à contributions

numéro

escola

deadline

26 avril 2021

publication

printemps 2021

envoi

librarioli@​s-​i-​l-​o.​fr

Escola \esˈkɔlo\ féminin

Occitan, du latin schola.
École.

FAIRE ÉCOLE DIFFÉREMMENT

Escola, emprunté au latin schŏla — « loisir studieux ; leçon ; lieu où l’on enseigne » — et du grec σχολη — « arrêt de travail », « loisir consacré à l’étude ; leçon ; groupe de personnes qui reçoivent cet enseignement » — signifie école en occitan. 

Si l’on se réfère à la définition dominante et aux imaginaires contemporains associés au mot « école », cela se traduit fréquemment par l’idée d’une institution encadrant l’acquisition d’un savoir, potentiellement en vue d’une professionnalisation.Le mot désigne également un principe d’affinité de pensée ou de méthodes, au sens de « faire école », qui lie un maître à l’ensemble de ses disciples autour de l’apprentissage d’une esthétique, d’une technique ou d’une tradition commune. Que ce soit l’institution-lieu ou le dispositif-corps, école est ce cadre où l’on se forme, où l’instruction se déroule, où l’on initie à des connaissances.

Dans les années 1970, Ivan Illich imagine une société sans école, c’est-à-dire en dehors des institutions. Il pose qu’un véritable système éducatif doit avoir trois objectifs : 1° permettre à tous d’apprendre ; 2° favoriser le partage de connaissances ; 3° favoriser le débat public. Son projet s’inscrit dans la continuité d’autres pensées pédagogiques émancipatrices comme celle de Joseph Jacotot fondée sur l’idée « d’émancipation intellectuelle comme mise en œuvre de l’égalité immédiate entre les intelligences », pensées qui ont notamment été expérimentées dans les premières organisations socialistes et mutualistes françaises. Tous ces projets reposent sur l’idée d’une égalité non pas des compétences mais des capacités, et mettent à l‘épreuve la tension entre le postulat révolutionnaire d’égalité et sa mise en œuvre concrète. L’école pensée comme expérience de transmission est un espace où sont éprouvées les relations du sujet avec le monde, la culture et la société, engageant de potentielles résistances du sujet dans le cadre de l’apprentissage. En cela, l’école met en jeu la relation de l’apprenant à l’enseignant dans le cadre de l’expérience de l’apprentissage.

Alors pourquoi escola ? Qu’est qu’escola dit qu’école ne dit pas ? Qu’est-ce qu’il questionne des processus de transmission des connaissances ? 

Des élèves à l’atelier de l’école publique et libre de Summerhill, au Royaume-Uni, 1986

PLURALISER LES LANGUES

Dans l’Occident médiéval, la langue romane désignait l’ensemble des langues vernaculaires issues du latin. Sa définition évolue à partir du milieu du XIXe siècle pour ne plus désigner que le provençal ancien, aussi connu sous le nom d’ancien occitan. Durant les XIIe et XIIIe siècles, l’occitan, en plus de son usage administratif qu’il se disputait avec le latin, était parlé dans une très large partie de la France méridionale, des Alpes à la Provence, de l’Auvergne aux Pyrénées, en passant par la Gascogne et le Languedoc jusqu’aux confins du Poitou. Appuyé par le mouvement littéraire et philosophique des Troubadours, l’occitan connu un véritable rayonnement culturel en Europe. Au XIXe siècle, bien qu’encore majoritairement parlé dans ses provinces, l’occitan est dévalorisé et privé d’école dans le cadre de politiques nationales d’unification du territoire français, au profit de la langue française. 

Dès 1802, le passage au français comme langue nationale est organisé sur la dévalorisation des langues régionales. Elles sont assimilées à des « patois » et interdites d’enseignement public par les lois Jules Ferry (1881−1884) qui généralisent l’instruction publique. L’État hiérarchise l’usage des langues et impose une « véridicité » de la langue, à partir de l’idée qu’il existerait une frontière entre le « vrai » et le « faux » savoir. 

Selon le philosophe Michel Foucault il existerait plutôt différents régimes de vérité  1 . Les notions de vrai et de faux sont construites historiquement par un ensemble de pratiques qui déterminent leurs conditions de possibilités et leur pouvoir dans une société donnée. La disqualification de l’occitan par la mise en place de l’école républicaine résulte de la redéfinition de la valeur des savoirs afin de légitimer l’idée de territoire national au dépend des territoires régionaux. Quelles sont les manifestations d’escola, c’est-à-dire, les manières de faire école ailleurs que dans la considération d’une frontière entre le « vrai » et le « faux » savoir ? 

Au-delà d’un intérêt pédagogique, escola permet de questionner la notion de connaissance en dehors de l’idée de vérité, comme un ensemble de procédés logicaux et expérimentaux qui favorise l’émancipation du sujet. À partir de la dialectique entre langue nationale et langues locales, comment penser la place des connaissances décentralisées, incorporées, voire irrationnelles ou irraisonnées ? 

Another Look, Mary Ross Townley, Addison-Wesley, 1978

MILIEUX DE LA LANGUE

Dans l’article « Textures de la surface : le sol et la page » publié en 2020, l’anthropologue Tim Ingold soulève la question suivante : Y a-t-il une analogie, voire une équivalence, entre marcher sur le sol et écrire sur la page ou bien entre suivre une piste et lire un texte ? Cette réflexion de l’anthropologue se fonde sur la pratique de la lecture en Europe médiévale, perçue alors comme une promenade dans un paysage, les lignes inscrites sur le parchemin s’apparentant aux chemins tracés sur le sol. Dans ce texte, Tim Ingold constate que « pour les auteurs et lecteurs modernes, habitués à la technologie de l’imprimé, la page n’est pas ce qu’elle était pour les copistes de l’époque médiévale qui écrivaient à la plume sur du parchemin ni pour les lecteurs de cette écriture manuscrite », de la même manière « que le sol n’est pas, pour les gens de notre époque, ce qu’il fut pour les laboureurs du Moyen-âge qui tiraient leur subsistance de la terre » 2 . Pour lui, en revenir à la conception médiévale de la lecture comme promenade permet de redonner à la géographie son sens littéral : celui d’une écriture de la terre. 

Cependant, aucun territoire n’est stable dans le temps et donc reproductible en tant que tel. Chacun est doté d’une dynamique qui lui est propre et qui se déploie dans un flux d’informations en perpétuelle mutation et réinvention, favorisée par le langage. De même que le trait caractéristique du langage est son essentielle mutabilité, comme le dit Dante dans son traité sur l’éloquence vulgaire 3 . Sa variabilité intrinsèque à travers les siècles entraîne nécessairement la pluralité des langues humaines. 

« Il est possible de percevoir, dans une langue l’écho d’une autre. Selon l’idiome et la sensibilité de l’oreille qu’on lui tend, néanmoins, la nature de la résonance varie dans des proportions considérables » nous dit Daniel Heller-Roazen dans son livre Echolalies : essai sur l’oubli des langues  4 . Du passage d’une langue à l’autre, comme toute mutation, il y a toujours un reste. Une langue garde en elle plus de souvenirs que ses locuteurs, semblable à une couche géologique marquée par les traces d’une histoire.

Ces lectures montrent d’autres manières d’envisager les liens existants entre la langue et notre façon d’habiter la terre. Quelles sont les approches géologiques du langage que laboure le mot escola ? 

Immagini Della Realtà, Bruno Munari, jeux de 40 cartes, 1977

TOURNER LES LANGUES DANS SA BOUCHE

Escola c’est le langage qui fait milieu. Escola c’est la bouche qui s’ouvre toute grande sur un /​a/​— AH. Écho qui est là dans l’espace de la langue. L’envol phonétique contextualise le moment de la transmission comme étant celui de l’ouverture, de la présence : il fait apparaître le geste oral qui concilie l’instruction et sa traduction mystérieuse en l’autre. Passer d’école à escola c’est tenter de désigner ce qui se décale quand la langue bouge. Tourner les langues dans sa bouche, c’est façonner à soi les langues venant d’un autre. 

Qu’est ce qui lie la main qui manie la hache, la houe et la charrue à celle qui manie la plume, le crayon et le clavier ? Comment mêler les lignes des laboureurs, les tracés des voyageurs, les lignes d’écriture, les gestes de la parole ?

Participer

Comme à notre habitude, il n’y a que peu de conditions à votre participation. Vous pouvez choisir de vous inspirer de cet édito, ou non, tant que votre proposition reste relative à la thématique. Libre à cha- cun de nous envoyer sa contribution, de quelque nature qu’elle soit.

Pour les auteurs souhaitant proposer un texte, vous pourrez dans un premier temps nous envoyer un abstract expliquant vos idées, vos démarches, vos envies. N’hésitez pas à documenter vos envois par des images. S’en suivra alors une phase de dialogue et d’échange avec vous. Pour nous faciliter la tâche, les textes achevés (y compris les notes de bas de page, crédits images, etc.) doivent être soumis numériquement au format .rtf et toutes photos, illustrations ou dessins doivent être soumis numériquement au format .jpg, .png, .tif ou .eps en haute définition (300 dpi minimum) en indiquant la source de l’illustration, le nom du photo- graphe ou de l’artiste, le nom du détenteur du droit d’auteur, ou « sans copyright », et la légende si nécessaire. Les propositions de contributions doivent être soumises avant le 26 avril 2021 à l’adresse librarioli@​s-​i-​l-​o.​fr avec pour objet : Librarioli E contributions + Nom + Prénom.

Nous vous tiendrons informés au plus vite des contributions qui seront publiées dans la revue. Les autres contributions pourrons être consultables sur notre site internet dans un espace dédié, tant qu’elles restent en adéquation avec la thématique et la ligne éditoriale des Librarioli.
Télécharger l’appel à contributions : librarioli_escola_appel_contributions (263 Ko)

  1. iMichel Foucault, Gouvernement des vivants, cours au Collège de France, 1979 – 1980, EHESS, Gallimard, Seuil, 2012.

  2. Tim Ingold, « Textures de la surface : le sol et la page », traduction de Samuel Goyet, et Martine Descouens, avec la collaboration d’Emannuël Souchier, Presses Universi- taires de France, Communication & langages, 2020/2, n°204, pp. 11 – 29. 

  3. Dante Alighieri, De vulgari eloquentia (De l’éloquence en langue commune, opposée au latin), traduit du latin par Anne Grondeux, Ruedi Imbach et Irène Rosier-Catach, Fayard, 2011.

  4. Daniel Heller-Roazen, Echolalies : essai sur l’oubli des langues, Seuil, 2007.

Commentaires

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