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Librarioli âB – Une supernova du langage
ⶠ10.06.17
âșClémentine Hougue
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âșClémentine Hougue
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Une Ă©criture du multipleâŠ
Dans ces trois romans Ă la prose extrĂȘmement fragmentĂ©e, on assiste Ă un total Ă©clatement de la langue : des fragments vont et viennent au fil de la trilogie, laissant parfois surgir des bĂ©ances dans la narration. La langue devient poreuse Ă son dehors et le texte sâinscrit comme lieu de passage de voix autres : Burroughs a dĂ©clarĂ© avoir utilisĂ©, outre ses propres textes, des publiÂcitĂ©s, slogans, discours politiques, mais Ă©galement des fragments issus dâĆuvres majeures de la littĂ©rature (Joyce, Shakespeare, Rimbaud, Genet, Kafka, Eliot, Joseph Conrad, Graham Greene, Raymond Chandler, mais aussi de son ami Jack Kerouac et dâautres, notamment des auteurs de science-fiction 1 . Espace du multiple, le cut-up procĂšde au broyage dâun matĂ©riau verbal hĂ©tĂ©rogĂšne pour faire advenir une composition langagiĂšre kalĂ©idoÂscopique.
Ainsi, il nâest pas rare, dans le texte burroughsien, de voir apparaĂźtre des fragments en langue Ă©trangĂšre, le plus souvent dans des sĂ©quences oĂč le cut-up est denseâââcâest-Ă -dire oĂč les fragments sont nombreux et la syntaxe particuliĂšrement hachĂ©e. On observe par exemple ce procĂ©dĂ© dans The Soft Machine :
âHooded dead gibber in the turnstile â What used to be me is backward sound track â fossil orgasm kneeling to inane cooperation.â Wind through the pissoir â ââJâaime ces types vicieux quâici montrent la biteâ â green place by the water pipe â dead leaves caught in public hairs â ââCome and jack off â 1929â â Woke in stale smell of vending machines â the boy with grey flannel pants stood there grinning a few inches in his hand â [âŠ] â On the sea wall met a boy in red-and-white T-shirt under a circling albatross â ââMe Brown Meesterâ â warm rain on the iron roof â The boy peeled his stale underwear â Identical erection flipped out kerosene lamp â The boy jumped on the bed, slapped his thighs : ââI screw Johnny up ass ? AsĂŹ como perrosââ [âŠ] 2
La nature fondamentalement hĂ©tĂ©roÂgĂšne du cut-up permet dâintroduire la langue Ă©trangĂšre sans la contexÂtualiser, câest-Ă -dire en lâinsĂ©rant telle quelle dans le texte et en la donnant Ă lire sans la sĂ©parer du continuum du texte. Ainsi, elle est diffĂ©rente en tant quâĂ©trangĂšre, tout en ayant le mĂȘme statut que les autres fragÂments. Si ce plurilinguisme souligne lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© constitutive du texte, il tend Ă©galement Ă introduire une diversitĂ© linguistique qui renvoie au mythe de Babel. Cet Ă©pisode de la GenĂšse raconte comment Dieu, inquiet de voir une tour construite par les hommes prendre de la hauteur, brouille leur langage unique pour les empĂȘcher de se comprendre, et les disperse Ă travers le monde. Le cut-up, Ă©criture du multiple, devient un espace prĂ©-babĂ©lien de cohabitation des langues qui interroge cette notion de sĂ©paration.
En effet, lâopĂ©ration de brouillage et de court-circuit, qui vient contrecarrer le premier brouillage voulu par Dieu, apparaĂźt assez paradoxale â la technique dâĂ©criture burroughsienne repose en effet sur un geste sĂ©parateur de prĂ©lĂšvement ; de mĂȘme, le texte de la trilogie est parcouru de toutes parts par les ruptures. En rĂ©alitĂ© le cut-up ne propose pas de rĂ©unir toutes les langues en une seule, mais dâintroduire de la diffĂ©rence au sein mĂȘme du langage. Brouillage issu de la volontĂ© divine et contre-brouillage dâune opĂ©ration de rĂ©sistance : lâentreprise prend un tour politique, une guĂ©rilla se fait jour dans les creux du texte. En effet, Ă Babel, la rupture sâest opĂ©rĂ©e entre un temps unique, temps de lâunitĂ© des langues, oĂč les hommes pouvaient rivaliser avec Dieu, et un temps historique, oĂč la sĂ©paration des peuples par la langue les a forcĂ©s Ă une orgaÂnisation humaine de la citĂ©. Ainsi, contraints de se disperser sur toute la surface de la Terre (GenĂšse 11.8â9), les hommes occupĂšrent lâespace terrestre en citĂ©s organisĂ©es, chacune Ă©tant fondĂ©e sur une unitĂ© linguistique. Le cut-up, en opĂ©rant une recompoÂsition des textes, retourne alors contre elle-mĂȘme la segmentation hiĂ©rarchisĂ©e des langues. Dieu sĂ©pare les langues pour sĂ©parer les hommes ; le collage sĂ©pare les mots de leur contexte pour recompoÂser une langue intrinÂsĂšquement diffĂ©rente, façonnĂ©e par les textes de toute provenance. Michel Foucault explique Ă ce propos quâ«âil y a une fonction symbolique dans le langage : mais depuis le dĂ©sastre de Babel il ne faut plus la chercher [âŠ] dans les mots eux-mĂȘmes mais bien dans lâexistence mĂȘme du langageâ» 3 â: la tension du cut-up vers cette langue prĂ©-babĂ©lienne permet dâinterroger la fonction de sĂ©paraÂtion du langage par lâintroduction de la multiplicitĂ© linguistique.
Les langues Ă©trangĂšres ne sont pas les seuls espaces de porositĂ© linguistique que prĂ©sente le cut-up. Lâinsertion rĂ©currente dâargots et de lexiques spĂ©cifiques tisse Ă©galement cette toile langagiĂšre multiÂple. Ce que fait le cut-up, grĂące Ă son morcellement, câest montrer ces variations internes en les isolant dans un fragment. On le voit par exemple dans cet autre extrait de The Soft Machine, qui dĂ©crit, comme la prĂ©cĂ©dente, une scĂšne sexuelle :
Go completo plus Kiki. He flipped the tongue street : ââYou is coming for Johnny.â One shirt spilling head. The bodies feel cock flip out and up. ââComo eso I fuck youâ On shirt spilling Johnny. Finger on his balls. Cock flipped out and up. 4
On observe ici un entrelacement entre diffĂ©rentes langues, mais aussi entre diffĂ©rents langages : lâamĂ©ricain est mĂȘlĂ© Ă lâespagnol, mais aussi Ă lâargot « cockâ», « ballsâ», intĂ©grant Ă©galement des incorrecÂtions « You is comingâ», plutĂŽt que « you are comingâ». La porositĂ© du cut-up permet dâintĂ©grer les variations internes de la langue, ses propres diffĂ©rences qui sont placĂ©es sur le mĂȘme plan que la langue « officielle ».
Cette capacitĂ© dâincorporation peut ĂȘtre liĂ©e Ă la langue amĂ©ricaine qui est, si lâon en croit Deleuze, une langue hĂ©gĂ©monique, impĂ©rialiste. Mais elle est dâautant plus vulnĂ©rable au travail souterrain des langues ou des dialectes qui la minent de toutes parts, et lui imposent un jeu de corruptions et variations trĂšs vastes. LâamĂ©ricain est travaillĂ© par un black-english, et aussi un yellow, un red english, un broken english, qui sont Ă chaque fois comme un langage tirĂ© au pistolet des couleurs. 5
Ce que le philosophe met ici en lumiĂšre, câest la nature poreuse de la langue amĂ©ricaine, qui est de toutes parts traversĂ©e par des « langues mineures »â; câest une langue travaillĂ©e de lâintĂ©rieur par ses propres marges, dans un « chromatisme gĂ©nĂ©ralisé» 6 â. Le cut-up ne ferait donc que mettre en exergue ce « propreâ/ impropre » de lâanglais amĂ©ricain : une langue parasitĂ©e, une langue du parasitage.
Le parasitage est dâailleurs un processus qui intĂ©resse tout particuÂliĂšrement Burroughs, quâil sâagisse du parasitage biologique dâun corps par un autre, ou du parasitage du discours et du sens par des discours et des sens alternatifs. Le parasite revĂȘt une place particuliĂšre, pour ne pas dire centrale, dans le personnel romanesque de Burroughs. On trouve, dans la trilogie Nova, des ĂȘtres vivants ou des entitĂ©s qui sont le rĂ©sultat dâhybridations, pour nâen citer que quelques-uns, insect people 7 (le peuple-insecte), angle boys 8 (les garçons-angles) ou vegetable sentence 9 (la Sentence-LĂ©gume)â: ces syntagmes arĂ©fĂ©rentiels, sans signifiĂ© autre que nĂ© de la composition, rĂ©vĂšle ainsi le potentiel de crĂ©ation de lâĂ©criture.
Le parasitage rĂ©git en rĂ©alitĂ© tout le systĂšme narratif de la trilogie : le cut-up repose sur la crĂ©ation dâinterfĂ©rences dans la narration ; interfĂ©rences alĂ©atoires, issues de la recomposition du texte prĂ©alableÂment dĂ©coupĂ©, elles manifestent une cohĂ©rence de lâhĂ©tĂ©rogĂšne en mĂȘme temps quâelles dĂ©stabilisent la linĂ©aritĂ© de la lecture. Le parasitage est le moyen de surgissement de la crĂ©ation, le mode de traitement du texte qui exploite le plus profonÂdĂ©ment les possibilitĂ©s du langage. « Il nây a rien avant le texte, il nây a pas de prĂ©texte qui ne soit dĂ©jĂ un texteâ» 10 , car « tout commence dans le pli de la citationâ» 11 , dans la contamination de la « greffeâ», affirme Derrida dans La DissĂ©mination. Ce que met en jeu le cut-up est en fait inhĂ©rent Ă la structure mĂȘme de lâĂ©criture : le jeu de citation, de greffe et de parasitage dans les textes de Burroughs met en exergue, pousse Ă son paroxysme une des propriĂ©tĂ©s « naturelles » du langage : il sâagit de « babĂ©liser » le langage et, par un procĂ©dĂ© dâĂ©criture, de procĂ©der Ă lâinscription visuelle â coupure et gravure Ă la fois â des porositĂ©s intrinsĂšques de la langue.
⊠pour abolir le VerbeâŠ
« In the beginning was the word. In the beginning of what exactly 12 ?â», ne cesse de se demander, dans diffĂ©rents textes, Burroughs et Gysin. Interrogation fondamentale : une origine inconnue, impossible Ă identifier, se prĂ©senterait dans le langage. Quel est donc ce commencement, dont le Verbe serait la balise ? Quel est donc ce Verbe, qui semble sâincarner totalement, hors de toute inscription ? Dans le bref essai Playback from Eden to Watergate, Burroughs affirme : « It is generally assumed that the spoken word came before the written word. I suggest that the spoken word as we know it came after the written word. In the beginning was the Word was God â and the word was flesh⊠human flesh ⊠in the beginning of writing.â» 13
Lâauteur de la trilogie rejoint ainsi les interrogations de Jacques Derrida, qui, dans De la grammatologie, postule que le concept occidental de langage « confine lâĂ©criture dans une fonction seconde et instrumentale, traductrice dâune parole pleine et pleinement prĂ©sente (prĂ©sence Ă soi, Ă son signifiĂ©, Ă lâautreâŠ)â» 14 . Derrida pointe ce « logocentrismeâ» 15 , cette dĂ©valuation de lâĂ©criture qui traverse toute la pensĂ©e mĂ©taphysique de Platon Ă Heidegger, et entend repenser lâĂ©criture hors de cette dĂ©termination mĂ©taphysique. Câest Ă©galement ce quâentreprend le cut-up : le mot y apparaĂźt sous lâangle de sa matĂ©rialitĂ©, il nâest plus envisagĂ© comme un signe renvoyant Ă une parole le prĂ©cĂ©dant â il inscrit ses variables et ses diffĂ©rences contre une parole monolithique et pleine. La mĂ©fiance vis-Ă -vis du Verbe originel prend Ă©galement un tour politique dans la trilogie Nova, oĂč un groupuscule appelĂ© Logos group dĂ©clare pouvoir contrĂŽler les individus grĂące Ă des combiÂnaisons de mots. Le cut-up se configure alors comme un moyen de rĂ©sistance de lâĂ©criture face au Verbe, comme une lâopĂ©ration de brouillage qui, en faisant exploser la syntaxe, annihile les propriĂ©tĂ©s contrĂŽlantes de la parole â que Burroughs nomme « le langage-virus ».
Burroughs envisage en effet le langage comme un virus qui aurait infectĂ© lâhumanitĂ© dĂšs ses origines, pour mener Ă la prolifĂ©ration toxique des mĂ©dias. Câest le langage-virus qui nous plonge dans un « film-rĂ©alitĂ© » en nous forçant Ă parler. Dans Playback from Eden to Watergate, lâauteur prĂ©cise sa thĂ©orie :
I advance the theory that in the electronic revolution a virus is a very small unit of word and image. I have suggested how such units can be biologically activated to act as a communicable virus strains. Let us start with three tape recorders in the Garden of Eden. Tape recorder one is Adam. Tape recorder two is Eve. Tape recorder three is God, who deteriorated after Hiroshima into the Ugly American. 16
Si ce virus, que Burroughs nomme « lâAutre MoitiĂ©â», a prolifĂ©rĂ© au point de devenir le propre de lâhomme, câest parce quâil est un symbiote, un organisme qui entretient avec son hĂŽteâââlâhumain ââune relation dâinterdĂ©pendance :
My general theory since 1971 has been that the word is literally a virus, and that it has not been recognized as such because it has achieved a state of relatively stable symbiosis with its human host ; that is to say, the word virus (the other Half) has established itself so firmly as an accepted part of the human organism that it can now sneer at gangster viruses like smallpox and turn them in to the Pasteur Institute. 17
Pour lutter contre ce virus, il faut avant tout rĂ©vĂ©ler son existence. Et câest par la manipulation du langage, manipulation extrĂȘme comme le cut-up, que cette rĂ©vĂ©laÂtion est possible. GĂ©rard-Georges Lemaire explique que « le langage serait cette maladie ontologique qui pourrait ĂȘtre aggravĂ©e et donc rĂ©vĂ©lĂ©e par une amplification du processus parasitaire 18 .â» La notion de langage-virus entraĂźne chez Burroughs un double mouvement dâaggravation et de rĂ©vĂ©lation : aussi le cut-up porte-t-il en lui la duplicitĂ© du pharmakon, terme grec qui signifie Ă la fois « poison » et « remĂšdeâ». Comme le commente Derrida dans La pharmacie de Platon 19 , le philosophe grec, dans PhĂšdre, appelle Ă la mĂ©fiance vis-Ă -vis de lâĂ©criture, quâil compare Ă une drogue et nomme pharmakon : Ă la fois poison, car elle rend oublieux (en tant que hypomnĂ©sis, elle est un supplĂ©ment Ă la mĂ©moire), lâĂ©criture peut ĂȘtre le remĂšde Ă cet oubli en permettant une pensĂ©e (anamnĂ©sis, ou rĂ©miniscence des connaissances). De mĂȘme le cut-up serait ce pharmakon : lui-mĂȘme viral, lui-mĂȘme langage prolifĂ©rant, Ă la fois explosif et explosĂ©, il repose sur la notion anti-aristotĂ©licienne du tiers inclus. Cette logique postule que les concepts ne sâopposent pas de maniĂšre binaire mais intĂšgrent leurs propres contradictions : ainsi du poison-remĂšde quâest le cut-up, Ă la fois crĂ©ateur et destructeur, prĂ©sence et absence, lui-mĂȘme et autre chose. Câest cette intĂ©gration dynamique du nĂ©gatif qui permet de lutter contre le langage-virus, contre cette « Autre MoitiĂ© » symbioÂtique qui nous impose la parole et nous empĂȘche dâaccĂ©der au silence :
The ââOther Halfâ is the word. The ââOther Halfâ is an organism. Word is an organism. The presence of the ââOther Halfâ is a separate organism attached to your nervous system on an air line of words can now be demonstrated experimentally. [âŠ] it is the ââOther Halfâ worked quite some years on a symbiotic basis. From symbiosis to parasitism is a short step. The word is now a virus. [âŠ] It is now a parasitic organism that invades and damages the central nervous system. Modern man has lost the option of silence. Try halting sub-vocal speech. Try to achieve even ten seconds of inner silence. You will encounter a resisting organism that forces you to talk. That organism is the word. 20
Car câest Ă cela quâil faut, selon Burroughs, aspirer : le silence. Impossible dây parvenir, cependant, tant que le langage-virus agit. Le cut-up devient alors cette quĂȘte, peut-ĂȘtre impossible, dâune Ă©criture du silence.
⊠et parvenir au silence
InspirĂ© notamment par les codex mayas, le Livre des morts Ă©gyptien et la pratique calligraphique de son ami Brion Gysin, Burroughs tente, avec le cut-up, de parvenir Ă cette Ă©criture silencieuse, câest-Ă -dire une Ă©criture dĂ©barrassĂ©e de son « Autre MoitiĂ© » virale. GĂ©rard-Georges Lemaire explique que [l]e roman dĂ©sintĂ©grĂ© et dĂ©pourvu de centre de gravitĂ© de Burroughs se dĂ©finit bien par cette interrogation infatiÂgable qui a pour consĂ©quence de lui faire poser lâhypothĂšse dâun corpus hiĂ©roglyphique, inspirĂ© de lâĂ©criture des Ăgyptiens anciens et des pictoÂgrammes mayas. Ce projet stipule en premier lieu lâablation de la copule, le bannissement du verbe ĂȘtre, dont les deux modes permettent Ă la syntaxe de sâordonner et de rĂ©pondre aux exigences aristotĂ©liciennes du tiers exclu. Une telle Ă©radication de la copule se concrĂ©tise sur-le-champ par la transformation des mĂ©canismes de la ratio. Le langage, contre toute la philosophie grĂ©co-latine et, plus gĂ©nĂ©ralement, toutes les spĂ©cuÂlations judĂ©o-chrĂ©tiennes, doit Ă©viter Ă jamais le truchement de lâarticulation et de la verbalisation pour devenir une association silencieuse et purement imageante. 21
Burroughs en fait la tentative dans la trilogie Nova : la derniĂšre section de The Ticket That Exploded, deuxiĂšme volet du triptyque, porte le titre Ă©vocateur de « Silence to say good bye »â; il prĂ©sente la fin du film-rĂ©alitĂ© conçu par Mr Bradly-Mr Martin, et donc lâĂ©chec du Complot Nova. « My film endsâ» 22 dĂ©clare Mr Bradly-Mr Martin, alors que Hassan I Sabbah, chef des rĂ©sistants et incarnation du cut-up, apparaĂźt victorieux et dĂ©clare : « Last round overâ». 23
Comme pour sceller cette apparente dĂ©faite, la derniĂšre page de ce deuxiĂšme opus ne comporte aucun texte, mais une calligraphie de Brion Gysin (voir figure ci-contre). On y distingue une « permutation » du titre du chapitre : il sâagit dâun procĂ©dĂ© voisin du cut-up, frĂ©quemÂment employĂ© par Burroughs et Gysin, consistant Ă intervertir les mots dâune phrase selon toutes les combiÂnaisons possibles. Ici, « Silence to say goodbye » devient « To say good silence byâ», puis « Good to say by silence » et « By silence to say goodâ». La phrase se dĂ©lite « Good â Goodâ», dans ce qui peut se lire comme un au revoir au langage « Bye »â: en effet, les lettres laissent progressiveÂment place Ă des caractĂšres indĂ©chifÂfrables. La permutation, en brisant lâordre syntaxique, provoque ainsi un effondrement du langage et aboutit Ă lâillisible, lâindicible, le silence.
Lâhistoire du conflit Nova pourrait sâarrĂȘter ici. Mais lâopus suivant, Nova Express, sâouvre sur la prophĂ©tie dâHassan I Sabbah annonçant la fin du Verbe. Sa victoire nâest donc pas entĂ©rinĂ©e, puisquâaprĂšs sa victoire supposĂ©e sur le Complot, le prophĂšte revient annoncer la fin du langage et lâavĂšnement de « lâĂ©criture silencieuse de Brion Gysinâ», câest-Ă -dire le cut-up. Le dernier volet de la trilogie donne ensuite Ă lire une insurrection interplanĂ©taire et un chaos total â une supernova, implosion-explosion dâun monde vouĂ© Ă la dissĂ©mination et Ă la rĂ©pĂ©tiÂtion. La fin de ce roman, qui est aussi la fin de la trilogie, sâachĂšve sur ces lignes :
Dead Hand, no more flesh
scripts â Last door â Shut off Mr Bradly Mr. â He heard your summons â Melted
into air â You are yourself
ââMr Bradly-Mr Martinâ â
all the living and the deads
â You are yourself â There be â Well thatâs about the closest way I know to tell you and papers rustling across city desks⊠fresh southerly winds a long time ago.
September 17, 1899 over New York July 21, 1964, Tangier, Marocco. 24
La fin de cette trilogie reste donc ouverte, dâabord parce que Mr Bradly-Mr Martin, sâil sâest Ă©vaporĂ©, reste prĂ©sent en chacun « Vous ĂȘtes vous-mĂȘme ââMr Bradly-Mr Martinââ»â: lâAutre MoitiĂ© persiste Ă parler Ă travers nous. Par ailleurs, ce texte final est datĂ© de 1899 et de 1964 et situĂ© Ă la fois Ă Tanger et au-dessus de New York : deux temps et deux espaces cohabitent, toujours dans la mĂȘme logique du tiers inclus. LâindĂ©termination qui rĂ©git lâensemble de la trilogie trouve lĂ sa plus parfaite expression : câest la fin du temps linĂ©aire et de la dĂ©termination spatiale. Dans ce nouvel espace-temps, il est difficile de savoir si nous sommes arrivĂ©s Ă la fin du langage (du langage qui domine comme de celui qui dĂ©nomine) et si lâĂ©criture du silence est advenue. Car tout, le langage-virus, le film-rĂ©alitĂ©, la lutte contre les organismes de contrĂŽle, les mĂ©dias, le Verbe, tout peut continuer dans un autre espace et un autre temps. Et tout continue dâailleurs, ici et maintenant.
- BURROUGHS, William. S., White Junk, 1965, in « Burroughs Live 1960âââ1997, The Collected Interviews of William S. Burroughs », Ă©dition SylvĂšre Lotringer, Semiotext(e) Double Agents Series, mit Press, Cambridge, 2002, p. 68âââ69.) â
- BURROUGHS, William S., The Soft Machine, Grove Press, New York, 1966. â
- FOUCAULT, Michel, Les Mots et les Choses, Ă©ditions Gallimard, Paris, 1966, p. 52. â
- BURROUGHS, William S., op. cit., p. 130. â
- DELEUZE, Gilles & PARNET, Claire, Dialogues, Ă©ditions Champs-Flammarion, 1996 (1977), pp. 72âââ73. â
- DELEUZE, Gilles & GUATTARI, FĂ©lix, « Postulats de la linguistiqueâ», Capitalisme et SchizophrĂ©nie 2 : Mille plateaux, Ă©ditions de Minuit, Paris, 1980, p. 123. â
- BURROUGHS, William S., The Ticket That Exploded, Grove Press, New York, 1967, p. 140. â
- BURROUGHS, William S., Nova Express, Grove Press, New York, 1964, p. 133. â
- Ibid., p. 135. â
- DERRIDA, Jacques, La DissĂ©mination, Ă©ditions du Seuil (collection Points), Paris, 1972, p. 397. â
- Ibid., p. 384. â
- BURROUGHS, William S., The Ticket That Exploded, op. cit., p. 50. â
- BURROUGHS, William S. & ODIER, Daniel, The Job, Ă©ditions Penguin books, 1989 (1974), p.11. â
- DERRIDA, Jacques, De la Grammatologie, Ă©ditions de Minuit, Paris, 1967, p. 17. â
- Ibid., p. 11. â
- BURROUGHS, William S. & ODIER, Daniel, The Job, op. cit., p. 14. â
- BURROUGHS, William S., « Ten Years and A Billion Dollarsâ», The Adding Machine, Ă©ditions Arcade Publishing, New York, p. 47. â
- LEMAIRE, GĂ©rard-Georges, Burroughs, Ă©ditions Henri Veyrier, Paris, 1986, p. 192. â
- DERRIDA, Jacques, La DissĂ©mination, op. cit., pp. 77âââ212. â
- BURROUGHS, The Ticket that Exploded, op. cit., p. 49. â
- LEMAIRE, GĂ©rard-Georges, « Les hiĂ©roglyphes du silenceâ», dans The Job, Ă©ditions Belfond, Paris, 1979 (1969), pp. 12âââ13. â
- BURROUGHS, William S., The Ticket That Exploded, op. cit., p. 202. â
- Ibid. p. 202. â
- BURROUGHS, William S., Nova Express, op. cit., p. 179. â
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