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Librarioli âB – Les voix dissociées
ⶠ09.06.17
âșAude Van Wyller
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Le problĂšme de la parole sâĂ©crivant elle-mĂȘme
Le ProblĂšme de la parole sâĂ©crivant elle-mĂȘmeâ, titre dâun recueil de recherche de Edouard-LĂ©on Scott de Martinville, dans une formulation scientifique qui revĂȘt un caractĂšre fantastique aujourdâhui, aborde le problĂšme de lâautonomie dâune parole privĂ©e de corps, dâune voix « dissociĂ©eâ». Une parole orale qui pourrait rejoindre le domaine de lâĂ©crit sans lâintermĂ©diaire dâun scribe.
Lâinvention du microphone se justifia dâabord par ce « problĂšmeâ», cette conquĂȘte de lâautonomie dâune parole. « Lâoreille inscriptive de la paroleâ» 1 fut donc le premier nom du microphone, et formula sa premiĂšre fonction, avant la possibilitĂ© de son application Ă©tendue : le prĂ©lĂšvement et la restitution non seulement de voix mais de lâenvironnement total du champ auditif perçu par lâoreille.
PrĂ©mices Ă lâinvention du tĂ©lĂ©Âphone, il sâagissait donc aussi de pouvoir conserver des paroles afin de les transporter, dâĂ©mettre un message aussi loin que possible sur un support qui conserve ce qui manquait Ă lâĂ©crit : le rythme et le ton de la parole.
Le paradigme dâune culture orale du souvenir, qui peut-ĂȘtre rĂ©sumĂ© par le proverbe latin verba volant, scripta manent («âles paroles sâenvolent, les Ă©crits restentâ»), a prĂ©cĂ©dĂ© le paradigme de la culture orale de lâenregistrement, qui se caractĂ©rise par lâinversion de cette locution 2 .
Un systĂšme, commun Ă tous les entendants/âparlants, est logĂ© Ă lâintĂ©rieur du corps : la « boucle audio-phonatoireâ». Il rend compte de lâinterdĂ©pendance de lâoreille et de la bouche, dans leur fonction dâĂ©coute et de phonation. Dans LâOreille et le langage Alfred Tomatis dĂ©montre en effet que le systĂšme audio-phonatoire est un contrĂŽle reposant sur la loi suivante : « On ne peut Ă©mettre vocalement que ce quâon entendâ» 3 .
Il observait ce principe au cours dâexpĂ©riences quâil menait dans le but de pouvoir reconstituer la voix et lâaide Ă la phonation chez les sourds : il supposait que lâon pouvait redonner Ă entendre aux patients les frĂ©quences disparues de leur spectre auditif afin quâils puissent les Ă©mettre Ă nouveau dans leur voix.
Cette loi sâest basĂ©e sur lâanalyse de lâaudiogramme de la voix de patients atteints de surditĂ© partielle, qui prĂ©senta des similitudes entre le dessin des frĂ©quences Ă©mises et entendues, les frĂ©quences manÂquantes se situant dans les mĂȘmes parties du spectre. Le spectre sonore de la voix ne peut donc se composer que des frĂ©quences que lâoreille Ă©tend : nous imitons ce que nous percevons de notre voix. La voix des sourds rĂ©vĂšle lâabsence de boucle audio-phonatoire par leur timbre Ă©trange pour les entendants du fait quâil y manque des frĂ©quences. On ne peut faire retour sur sa voix, quand on ne lâentend pas. Ce principe pourrait donc aussi rĂ©gir la formation du ton de notre voix, de nos accents, par lâimitation de la voix dâautrui.
« Nous parlons avec une voix qui nâa jamais Ă©tĂ© primitivement la nĂŽtre, et qui est largement fondĂ©e sur lâincorporation dâautres voix, transÂposĂ©es par nous. En effet, nous entendons parler avant de âčânousââș entendre parler, et nous parlons Ă partir de voix dâadultes que nous imitons, en les transposant dâun ou deux octaves dans lâaigu.â» 4
Michel Chion nomme ce retour des « feed-backs ergo-auditifs 5 â»â: ces mĂ©canismes de contrĂŽle de la boucle audio-phonatoire et du son de nos gestes plus gĂ©nĂ©ralement, qui caractĂ©risent donc lâergo-audition, « audition particuliĂšre Ă celui qui est en mĂȘme temps sous une forme ou sous un autre, lâĂ©metteur de la source entendueâ». Si le feed-back ergo-auditif dĂ©signe le contrĂŽle intime des sons que nous Ă©mettons, la notion de « sâentendre parler » par Jacques Derrida introduit au problĂšme du temps de ce retour : « Quand je parle, je mâentends le temps que je parleâ» 6 .
Michel Chion identifie plusieurs feed-backs rĂ©gulateurs de nos Ă©missions sonores. Le premier de ces feed-backs rĂ©gulateurs met en jeu notre concentration : lâhabitude que nous avons des profils sonores (Ă©volution des frĂ©quences dans le temps) gĂ©nĂ©rĂ©s par les gestes dont nous sommes lâauteur, comme verser un verre dâeau, peuvent permettre Ă un aveugle de ne pas le faire dĂ©boÂrder. Le second est le phĂ©noÂmĂšne de scotomisation de nos bruits intĂ©rieurs et extĂ©rieurs. Notre oreille, Ă notre insu, ignore nos bruits de mastications ou de pas, car lĂ encore il sâagit dâune habitude Ă notre prĂ©sence dans un environnement quotidien. On trouve un autre exemple de feed-back et de scotoÂmisation, consciente cette fois, dans la situation qui nous demande de moduler lâintensitĂ© de notre voix (chuchoter pour ne pas dĂ©ranger) ou de la taire, par la mĂ©moire des convenances sociales qui prĂ©valent Ă celle-ci. Câest alors une scotoÂmisation non pas de nos propres bruits Ă nos oreilles mais de notre prĂ©sence Ă lâoreille dâautrui. Notre silence permet donc le respect de la parole de lâautre si ce nâest son Ă©coute, et lorsque quelquâun nous parle ou parle Ă cĂŽtĂ© de nous, il est de rigueur de sâeffacer, de le « laisser » parler, pour ne pas se confondre, et ne pas le confondre. Sans cette alternance entre ma parole et la parole de lâautre, du bruit superposĂ© que formeraient nos deux voix rĂ©sulterait un autre silence bien connu quâoccasionne lâĂ©chec dâune communication.
Iâm throwing things out in backâŠboomeranging⊠erangingigâŠanginging
Nous ne voyons que son visage, appareillĂ© avec des Ă©couteurs, seul indice du circuit en sĂ©rie dont elle est lâinterrupteur. Elle actualise sa description, la met Ă jour comme sous la dictĂ©e, bien que lâĂ©cho perturbe lâenchaĂźnement logique de ses phrases, et hache de plus en plus son discours. Elle prononce Ă voix haute « ce quâelle Ă©prouve dans la mesure oĂč elle est affectĂ©e par sa propre pensĂ©e » envers et contre lâeffet machinique, « discours produisant des effets sur lâautre sans que lâintention vienne remplir et animer la paroleâ». Le sujet de ses paroles ne concerne que la description, la plus rĂ©flĂ©chie et imÂmĂ©diate possible de ce qui lui arrive alors mĂȘme que ce processus de rĂ©flexion se dĂ©lite. Paradoxalement, il Ă©mane de sa parole une sincĂ©ritĂ© dans la descriÂption, une oralitĂ© conçue sans a priori, un rythme proche de la lecture.
Je crois que lâĂ©cho ralentit ma capacitĂ© Ă penser. Jâai une double prise sur moi-mĂȘme. Je suis dĂ©sormais retirĂ©e de moi-mĂȘme. Je pense, jâentends et je comble un vide vocal. Je trouve que jâai du mal Ă Ă©tablir des connections entre mes pensĂ©es.
Elle dit quâelle ne peut plus rejoindre ses pensĂ©es et pourtant, elle doit forcĂ©ment penser pour produire de la parole. Elle pense entre la mĂ©moire de cette pensĂ©e et son Ă©coute. Câest une sorte de parole active, sans possibilitĂ© de feed-back ergo-auditif. Tout ce qui relĂšve de la subjectivitĂ© de la « rĂ©citante » est maintenant assignĂ©, totalisĂ© pour cette expĂ©rience, et tout flux de pensĂ©e parallĂšle pouvant la rattacher Ă un autre espace-temps doit lui ĂȘtre « impensableâ». Sa pensĂ©e est en quelque sorte extraite hors-champ. « Sâentendre parler (âŠ) transforme tout en auto-affection, sâassimile tout en lâidĂ©alisant dans lâintĂ©rioritĂ©â». Lâauto-affection se compose premiĂšÂrement de la relation de proximitĂ©, dâimmĂ©diatetĂ© que nous entreÂtenons avec la pensĂ©e, qui dĂ©finit lâidentitĂ© entre notre voix et cette pensĂ©e.
Les mots deviennent des choses.
DeuxiĂšmement, elle se complĂšte par le feed-back ergo-auditif, puisquâelle met en Ćuvre un Ă©cart avec la pensĂ©e, par la voix intĂ©riorisĂ©e de lâautre. Lâauto-affection est ce qui nous permet de designer notre parole et ce que lâon entend comme personnel, privĂ©. Cet Ă©cart par rapport Ă lâautre est une adresse Ă soi. Dans le mouvement sur soi quâest le sâentendre parler, lâauto-affection constitue le temps qui continue, fait rĂ©sonner lâaccord qui plaque la voix extĂ©rieure sur son image intĂ©rieure. Il lui devient impossible de mĂ©moriser sa propre voix. Au fur et Ă mesure, troublĂ©e par son incapacitĂ© Ă contrĂŽler la boucle naturelle du sâentendre parler, son ton se perturbe, des plages de silence viennent couvrir le flux de sa parole. Il sâagit dâun vide vocal quâelle cherche Ă combler depuis le dĂ©but de lâexpĂ©rience. Elle cherche un nouveau temps, elle veut sâapproprier, intĂ©rioriser, identifier ce quâelle reconnaĂźt comme sa propre voix. Cette voix est prise au sein dâune nouvelle boucle, un appareillage quâelle traĂźne, une prothĂšse.
Dans cette situation, lâauto-affection du sujet est usurpĂ©e, Ă cause de lâeffet de delay sur sa voix qui lui revient trop tard dans les Ă©couteurs, et cette voix, devenue presque impersonnelle, en quelque sorte « sincĂšreâ», par son immĂ©ÂdiatetĂ©, alors quâelle tente de dĂ©crire ses pensĂ©es, pourrait relever de ce que Jacques Derrida appelle lâ«âexemploralitĂ© 7 â».
Les mots se lancent et reviennent, jâentends un espace vide.
Elle parle encore mais est vidĂ©e de toute intention de contrĂŽle. En ceci, il se crĂ©e un paradoxe qui nous amĂšne Ă penser que cette situation de parole fictive est quasiment la seule chance pour nous dâapprocher lâexemploralitĂ© et quâen mĂȘme temps, cette exemploralitĂ© rate puisquâelle tient dâune Ă©loquence mĂ©canique, proche de celle dâune enceinte, sa parole produisant un effet sans quâaucune intention ne vienne lâemplir. Si cette expĂ©rience rĂ©vĂšle un procĂ©dĂ© quotidien dâassimilation des voix enregistrĂ©es, nous pouvons Ă©mettre lâidĂ©e quâune boucle audio-phonatoire hybride sâest re-localisĂ©e dans le corps des sujets parlants Ă lâĂ©poque de lâenregistrement.
la lecture inconsciente
Sans auto-affection, sans contrĂŽle ergo-auditif, toute parole tactique, Ă©loquente est impossible. La parole Ă©loquente sâoppose Ă lâexemploralitĂ© en tant que cette derniĂšre est une parole dĂ©sintĂ©ressĂ©e, qui ne se soucie pas de son effet sur lâautre. De plus, lâexemploralitĂ© relĂšve dâune parole originale, inventĂ©e, tombĂ©e dans lâoreille tandis que toute parole prise dans le jeu de la commuÂnication selon Derrida, relĂšve de la mimesis. On peut schĂ©matiser ces deux extrĂȘmes par lâopposition improvisationâ/âcomposition.
La parole Ă©loquente comparĂ©e Ă lâexemploralitĂ© est une parole conçue a posteriori et en ceci elle se rapproche de la lecture dâun Ă©crit, de ce qui est triĂ© ou rĂ©flĂ©chi. Le sâentendre parler produit une parole Ă©loquente et de ce fait nous pouvons dire quâil est une position intermĂ©diaire, entre lâexemploralitĂ© et la scription. Cette conception de la parole est assez difficile Ă reconnaĂźtre puisque la parole nous semble toujours « improvisĂ©eâ», sortie aussi directement que possible, selon notre expression personnalisĂ©e. Cependant, dans la perspective de lâexemploralitĂ©, et Ă la lumiĂšre de la notion du sâentendre parler, il apparaĂźt que nous pouvons confirmer la dĂ©finition de Michel Chion vue au dĂ©but du texte, disant que « notre voix nâest jamais premiĂšrement la nĂŽtre 8 ».
Il se pourrait que ce que nous appelons notre voix doive ĂȘtre reconnu comme la granulation de mille intonations, expressions, vocabulaire venues des paroles des autres. Partant de ce constat, il devient clair que les voix enregistrĂ©es que nous entendons au quotidien font partie de cette granulation et creusent encore le sentiment de dĂ©-subjectivation, de dissociation du corps, que provoque lâĂ©loquence tactique.
Nous formulons lâhypothĂšse dâĂȘtres aux mĂ©moires atopiques bien que localisĂ©es dans le corps, parasitĂ©s Ă leur insu par des voix diffĂ©rĂ©es et atemporelles, aux bouches forcĂ©es par dâautres voix, dans un silence de lâindividu proche de lâautomate auquel il a servi de modĂšle : lâenceinte.
Le support de la mĂ©moire reste le lieu du corps, cependant lâorigine du son, le contexte de lâenregiÂstrement de ces voix se perd dans la greffe par leur montage successif, qui leur ĂŽte toute relation de cause Ă effet, toute localisation dans un espace-temps. Si ce fonctionÂnement est dĂ©jĂ celui de la mĂ©moire humaine avant lâĂ©poque de lâenregiÂstrement, la modalitĂ© de tri par le sâentendre parler des situations oĂč cette mĂ©moire est rappelĂ©e en lien Ă©troit avec la situation, condiÂtionne notre parole. Ă notre insu, le sâentendre-parler exerce de moins en moins dâinfluence sur lâĂ©mission par notre voix, de la lecture des voix que nous dĂ©tenons dans notre mĂ©moire. Cet affolement de la lecture inconsciente de ces voix peut-ĂȘtre comparĂ© Ă la glossolalie. Aujourdâhui un thĂ©Ăątre glossolale comme lâABC de Joris Lacoste et son encyclopĂ©die de la parole, basĂ© dans sa forme sur la seule prĂ©sence du corps, sans aucune amplification Ă©lectrique, se pose en rĂ©ponse Ă la diffusion des voix automatisĂ©es dans des installations sonores sur de multiples haut-parleurs et Ă la simultanĂ©itĂ© Ă laquelle nous sommes confrontĂ©s chaque jour du fait des Ă©missions radiophoniques, publicitaires, des indicatifs vocaux dans les transports, des voix de la foule dans la rue, des voix lues sur des panneaux publicitairesâŠ
- SCOTT, Ădouard-LĂ©on, « LâOreille inscriptive de la parole, inscription automatique des sons de lâair au moyen dâune oreille artificielleâ», Comptes rendus de lâAcadĂ©mie des sciences, 1861, tome â Źâ â â , pp.108âââ109. â
- CHION Michel, Le Son : traitĂ© dâacoulogie, Ă©ditions Armand Colin, Paris, 2005. (chapitre 5.4 « Verba manent »â: cette inversion a Ă©tĂ© Ă©noncĂ©e par Jacques Lacan, Ăcrits, Ă©ditions du Seuil, Paris, 1966, pp. 26âââ27). â
- TOMATIS, Alfred, LâOreille et le langage, Ă©ditions du Seuil, 1978, p. 104. â
- CHION Michel,op. cit., p.100. â
- Ibid, p100. â
- DERRIDA, Jacques, Economimesis dans Mimesis des articulations, Ă©ditions Aubier-Flammarion, Paris, 1975, p.73. â
- DERRIDA, Jacques, op. cit., p.73. â
- CHION, Michel, op. cit., p.348. â
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