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Trilogie souterraine – BASTE!
◶ 13.02.16
☺Lou-Maria Le Brusq
7:17
🗨0
☺Lou-Maria Le Brusq
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texte lu
au cinéma nova
Hier
Plus de bavure ! C’était le nouveau mot d’ordre. Balivernes !
De proche en proche, la vibration s’était répandue. Disparues, les longues nuits d’errance communes. Aujourd’hui, c’est agitation permanente, RUSH, course infinie et sans haleine. Plus de contact, le courant : coupé.
Après les dernières descentes, il y a quelque temps de cela, nous nous sommes séparés, dés-unis, au loin, chacun mut par un désir d’émancipation peut-être, une nouvelle soif surement ; nécessitées de nos corps grandissants. De la cellule ternaire aux soixante atomes incandescents, nous avons su trouver un équilibre dans ce qui n’était pas la moitié : ni consensus ni compromis. Avant de nous quitter, nous avons fait vibrer l’estomac d’un monstre.
De sacré, il n’y avait que la mécanique. Avant de nous quitter, on s’était mis en tête de se retrouver, pour un dernier éclat miraculeux, pour la mise en effet d’une vibration magnifique, qui résonnerait dans la Hagra entière, durablement, pour et avec tous les témoins directs, les damnés de la terre, les villes verrouillées, les îlots sensibles. Nous avons dû composer avec la nouvelle organisation de la Hagra, celle qui imposa l’éclairage et la corporation, celle qui range et qui ordonne.
En réaction, notre désunion donna naissance à plusieurs forces individuelles qui se formèrent alternativement d’un point à l’autre de nos positions, produisant à chaque fois un panache puissant. C’était comme le mouvement oscillatoire du drapeau, qui clappe au vent et se balance d’un côté à l’autre de la hampe en un va et vient fier et distingué. Pour notre dernier éclat, s’est décidée la Mise Au Noir. Les yeux rivés sur nos 16 pouces, nous nous retrouvons toujours à l’aube faible de la Lumière Bleue. Seule, je subissait la proximité factice de ce soleil froid. La Lumière Bleue, c’est l’interface. C’est la division du support de communication, c’est la dispute antédiluvienne qui déchira Rotor et Stator, héros oubliés d’un combat fondateur. C’est le dedans et le dehors, la grippe entre deux goupilles. La Lumière Bleue, c’est aussi la seule résonance accordée qu’il me restait, une unique vibration partagée encore avec le groupe. Seule, la Lumière Bleue comme refuge, prémunition contre la Hagra.
Alors, quelquesfois, nous nous donnons rendez-vous pour faire, ensemble, vibrer nos membranes-haut-parleur. Pour échanger, et ainsi, par la nature chaotique de nos vibrations, par leur absence de musicalité, harmoniser l’ÉVÈNEMENT, préparer l’évasion. Nos échanges sont saccadés, différés. Plus de Bavure : rester désordonnés.
Il a fallu s’écouter donc, s’excuser parfois, se payer aussi, mais chichement, se sauver souvent et surtout se traiter justement. Il a nécessairement fallu sceller notre ré-union en une contingence dépourvue d’interface, dépourvue de la Lumière Bleue. Faire le noir, avant, peut-être, une re-descente exponentielle et salvatrice : nous nous attacherons aux zones grises, nous entretiendrons nos systèmes de disparition, pour occuper le terrain.
Vicissitudes programmées !
Nous sommes toujours fous, et souveraine est l’impureté de la Hagra.
Sous la Lumière Bleue, nous inscrivons sur quelques supports immatériels la marque de nos pensées : nuage ou nébuleuse encore fragile, fragments de ce qui nous constitue en tant qu’êtres dynamiques, invisibles à chacun, fantômes qui s’agitent de part et d’autre de nos interfaces respectives. L’ÉVÈNEMENT s’est ainsi construit, par accord de consciences et de tons distanciés, au travers d’un temps et d’un espace diffractés, rencontrant différents résonateurs.
Je me suis senti, un moment, prisonnier à jamais de la Hagra et de ses circonvolutions inextricables. Sous la Lumière Bleue, ou dans la Hagra, les érudits nous abreuvent de leurs fioles, et, placés malades, et prisonniers donc à nos yeux, voilà quatre ans et six mois bien passés que nous travaillons pour gagner enfin, il est temps, notre sortie. Et si quelques zouaves nous ont forcés masques et camisoles c’est que pour qu’une fois le jour permanent advenu, soyons remplis d’obéissance. Baste ! Fort heureusement que pour le groupe, la droite parfaite n’appartient qu’au monde de la géométrie pure, et que le chemin menant à l’ÉVÈNEMENT n’est pas tout à fait rectiligne.
Des deux derniers moments éloignés qu’il nous restait, chacun, hors de la Lumière Bleue, avons acquis le doigté nécessaire pour percevoir quelles goupilles en friction il était judicieux d’activer pour la mise au noir. C’est dans un tourbi d’idées jaillissantes et désordonnées que nous avons mis au point la tactique du retour au sombre. Un à un, comme les loups solitaires, sur nos routes éparses, avons préparer avec soin le plan d’une évasion totale.
Comme un cri, on vous dira :
« Veuillez donc enfin guérir, vous, engagés volontaires ! »
Le retour au noir, c’est la ligne de césure. L’évènement qui fait rupture. Oubliée, l’interface factice ! Loin la communication interposée ! Le noir, opacifiant, cette fois, pour unifier nos pensées, et proposer l’irrecevable friction ! Et s’il est des domaines qui ne souffrent pas d’approximation, les retors de la Hagra en sont le parangon. Le moindre défaut, la moindre faille la plus subtile peuvent être exploités pour la mise en efficience de l’évènement, pour peu que l’on se donne la peine de les comprendre. Toute la quiddité de l’évènement, de la mise au noir, consiste à découvrir et à exploiter les estafilades de la Hagra, et d’en tirer profit, pour réussir à actionner un dispositif d’ouverture, sans pour autant avoir à le détruire, et bien entendu, sans en disposer de la clé. Réduisons à néant l’efficacité de ce système théoriquement parfait !
Nos engouements adolescents, nos énergies d’enfants farcis de jugeote, ne sont plus relégués à un échange d’information binaire et sans conscience. Nous ne dépendons plus de la Hagra. Nous avons réussi à conjuguer adroitement avec la Lumière Bleu, la transformant en outil obséquieux.
Aujourd’hui
Le retour au noir n’a jamais eu lieu. Ou du moins pas comme nous l’avions envisagé. Petit à petit nous avons été extirpés de nos cachettes, excavés par des nécessités incontrôlées, par d’impersonnelles nécroses, carottes ou baguettes, instruments invisibles. Nous avons cédé aux injonctions des conforts. Mais aussi parce que ce que nous prenions pour des abstractions suffisamment vides pour être habitées se sont avérées être déjà saturées de sens, d’ordre et de désordre, de corps pourris sur lesquels renaissaient déjà de nouvelles doses de vérités. Parfois je suis prise d’un dégout de la saturation.
Il n’y a plus de trappes, plus de souterrains. Tout cela a été bien comblé par les emplois du temps, les désirs de liberté, illusions d’adultes naissants et frappés d’incompréhension radicale. Il est un moment où l’adolescence c’est évanoui. Il est d’une grande violence, ce passage de l’apprentissage au savoir. La hargne c’est transformé en suspicion, la joie en rage résignée. Nos corps ont muté, nos esprits ont filés à des vitesses folles leurs idées éparses. Ce qui nous a apparu brièvement comme limpide se déforme à nouveau, et nous avançons de stupéfaction en stupéfaction. Il n’est plus le temps d’apprendre, il est le temps du savoir. Que la stupidité ait à voir avec la stupéfaction, c’est l’étymologie même qui le dit. Le savoir déroule devant nos yeux des images infinies sans issues. Tous ceux que nous avions appelés les fous, la classe dangereuse, nous même, ne sommes que les témoins actifs d’une décrépitude totale. Nous sommes en train de faire de nos vie une littérature prenant la forme d’une bienveillance schizophrénique. Si aujourd’hui plus de milles têtes sont gardées, c’est qu’une diatribe repoussante les agitent à prendre l’épée, à soulever le glaive et la fortune au-dessus de mines empiffrées.
Demain, Alors tous échauffés par nos désirs d’enfants qui resurgissent comme autant de mauvais souvenirs, que l’on croit peut-être être autre chose, des souffrances visuelles, redoutes punitives, ivresses loyales, nous rassemblerons une armée pour construire des cabanes.