Partage
GRAN LUX - silo en résidence
ⶠ20.07.19
âșcollectif silo
î» 5:41
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Durant une semaine nous avons Ă©tĂ© accueillis par toute lâĂ©quipe du Gran Lux Ă Saint Etienne.
Nous avons habitĂ© lâespace durant ces jours et ces nuits, transformant le lieu en une sorte de grande place sur le pourtour de laquelle nos cabanes permettaient de petits Ăźlots dâintimitĂ©s et de partages. Nous remercions infiniment toute lâĂ©quipe du Gran Lux dont lâaccueil, la chaleur et la prĂ©cision ont Ă©tĂ© de prĂ©cieux alliĂ©s et nous accompagnent, en souvenirs heureux, dans nos multiples pĂ©rĂ©grinations.
Je suis un tas de poussiĂšres.
Un labyrinthe dâangles rĂȘches et de mĂ©tal froid.
Mes atomes sont dispersés autant que mes objets.
Je reviens toujours Ă mon ventre pour ne pas me perdre.
Mes mains sont montagneuses et mes yeux un volcan.Un angle de plus et jâexplose. Jâai des bleus un peu partout et les ongles noirs mais je continue de masser des gens. Je ne sais plus oĂč dĂ©poser ma tĂȘte quand ma bouche mord de ne pas avoir de place. Je nâarrive plus a ĂȘtre deux quand je ne suis dĂ©jĂ plus un. Et encore moins quand deux veut voir la somme. Quand les yeux ne sâĂ©coutent plus, les oreilles ne se regardent plus.
Il pleut dans le cinéma.
Jâessors les flaques.
On Ă©tait neufs.
On avait mĂȘlĂ© poussiĂšresâââmoustiquairesâââplanchesâââplastiquesâââsiĂšgesââârougesâââdrissesâââsueurâââfruitsâââlacetsâââtapisâââcafĂ©sâââmultiprisesâââtiroirsâââchuchotementsâââvisâââalcoolâââdrapeauxâââcigarettesâââĂ©lectricitĂ©âââfeuillesâââordisââârĂ©tinesâââvinsâââshortsâââvioletsâââĂ©cransâââblancsâââĂ©clatsâââriresâââMarseilleâââpluieâââpierresâââArmĂ©nieâââlettresâââvâââsouterrainsâââclarinetteâââodeurâââmelonâââchaussettesâââtempleâââVietnamââârĂȘvesâââporesâââmusclesâââĂ©tirementsâââĂ©chellesâŠ
On avait projetĂ© nos films, et nos cerveaux idĂ©alistes nâen dĂ©mordaient plus. Le sol Ă©tait un tremplin Ă©vident pour toucher le toit. Constellations complexes refusant lâidentique.
LâĂ©lectricitĂ© continuait de nous questionner puisque lâorage et la lumiĂšre du matin nous touchait dâavantage. On avait lâimpression que dehors tout sâĂ©croulait et quâil fallait se prĂ©parer, savoir vivre et sâorganiser ensemble. Loin du reste du monde. PrĂ©server notre amour de lâaigreur ambiante. Parfois on pensait tristement Ă ces milliers de gens qui dorment dans les rues et Ă la gueule de notre prĂ©sident. JusquâĂ ce quâun son grondant nous enveloppe. On Ă©tait lĂ pour faire pousser des trucs dans les fissures, câest ce quâon faisait de mieux. Le besoin de circulation et de porositĂ© se faisait sentir.
Anna Lowenhaupt Tsing, dans son livre ââLe champignon de la fin du monde â dĂ©finit la contamination comme une permĂ©abilitĂ© Ă la rencontre, comme une possibilitĂ© de transformation.
Alors on se contaminait. Parfois nous Ă©tions lâeau qui sâinfiltre et mouille, dans dâautres endroits nous avions Ă©tĂ© du feu qui dĂ©vore et rĂ©chauffe. La dĂ©gustation du thĂ© se muait en une cĂ©rĂ©monie, la chaleur de lâeau envoyait des signaux sonores qui nous englobaient, puis le liquide Ă©tait transportĂ© vers des flaques qui vibraient, suspendues au plafond. Les mots murmurĂ©s par lâun dâentre nous du fond de son litâââcabane faisaient frĂ©mir les surfaces. Puis la radio crĂ©pitait et une voix nous racontait que, bien quâil dormait sur des siĂšges de cinĂ©ma, ses rĂȘves demeuraient inchangĂ©s. Les fruits au sol accompagnaient le grand bassin de vin qui vibrait en basse frĂ©quences continues. Une femme cyborg se tenait debout, lâair grave, ââla fin du monde est procheâ insinuait son visage. Mais sur le rivage du vin il y avait toujours quelquâun pour se faire masser et se dĂ©livrer.
Je ne vais plus au dehors. Au dehors il pleut des doigts sur les claviers. Les soleils sont de petits rectangles bleus Ă©lectriques et leurs lettrages me brĂ»lent les yeux. Les narines aspirent lâair des autres jusquâĂ gonfler dâĂ©tincelles. Chacun prĂ©tend Ă une vĂ©ritĂ© et condamne le reste.
La chair a canon se disloque assez vite.
Je ne vais plus au dehors depuis que câest pire que la pire des fictions. Une mauvaise caricature, un trĂšs mauvais film. Mais dans ce cinema là ça crĂ©pite, ça lĂšche du Edison et ça relie au fil dâor, ça salive les poils intrusifs en servant du thĂ© Ă petits coups de marteau sur les tempes, les flaques sont taillĂ©es et les images arrosĂ©es. La respiration dilate les couleurs, et les corps peuvent enfin vibrer, loin des zĂ©ros et des uns. Les lumiĂšres sont de lâeau et les murs des membranes photosensibles. La rĂ©volte est une implosion sourde et profonde. Une antenne Ă©coute sĂ©rieusement gronder lâau dehors. Des satellites se prĂ©parent lentement. Dans ce cinema il nây a ni concierge, ni bureaucrate, ni dictĂ©es, seulement des formes de vie, anamorphoses de lâĂ©tat des Ăąmes. Entre distensions et lignes saillantes, les contours se rĂ©ajustent sans cesse. La composition nâest ni chimique, ni mĂ©canique, ni organique. Câest encore autre chose, une substance mixte qui fait que ça tient. On a jamais su pourquoi les champignons apparaissaient ici oĂč lĂ . Leur prĂ©sence est toujours un signe de vie considĂ©rable. Quand on secoue trop nos tĂȘtes des pellicules tombent. On les ramasse pour les projeter sur toute surface prĂȘte Ă les accueillir. On boit de la fermentation parce que ça a du goĂ»t et quâon sait honorer notre insignifiance. On tape du pied et on chuchote des yeux. De grands yeux dâune couleur Ă©tonnante qui sâest formĂ©e par lâusure de la beautĂ©. Cette Venus lĂ en avait deux paires, quâelle allumait lors des sĂ©ances, ses doigts faisaient mĂȘme presque partie du projecteur et sa gorge pĂ©tillante crĂ©ait ce son rond et complexe au fond de la toile.
Tandis que celui ci, il cachait bien ces plumes, des racines en forme de cabane et des couteaux suisse au bout des feuilles.
Les yeux charmeurs des bagages, et le vent comme orientation constante. Et puis ce loup blanc aux yeux bleus abyssaux gonflait lâespace. Sa prĂ©sence parlait silencieusement, ses multiples rĂ©flexions caustiques et ses crocs masquaient un sillon rieur. Il crachait des petits cinĂ©mas.
Certaines accolades ont lâodeur du safran.
Ătaient prĂ©sents : Pauline Vey, Matthieu Reynaud, Antoine Sultana, Harold Barme, ThĂ©o RevelenâââBernard, Quentin Thirionet, Nadja Bonneau, Alexia Foubert, HeloĂŻse Rochette Guglielmi.